LAURENT DEHORS TOUS DEHORS

matthew bourne & laurent dehors duO

Matthew Bourne : piano / Laurent Dehors : clarinette basse

À la sortie de Chansons d’amour en 2012 on a senti comme une fêlure dans la trajectoire musicale de Laurent Dehors. Comme si, soudainement, il tombait le masque de l’exubérance parfois fantasque de certaines de ses interventions et consentait à nous livrer un pan jusque là caché de sa nature profonde, la part la plus sensible de lui-même.

« […] dans tous les disques que j’ai faits il y a toujours un moment presque éthéré. C’est par pudeur que je n’en dévoilais pas davantage. Et là, grâce à Matthew, j’ai eu envie de présenter cette facette de moi même, plus intime… » me confiait-il dans l’entretien qui figure sur l’album précédemment cité.

Huit ans plus tard, avec A place that has no memory of you, revoici Matthew Bourne et Laurent Dehors, plus que jamais complices, en situation de creuser plus encore l’exploration impressionniste de leur jardin secret.

Aventure risquée mais forte de la confiance réciproque qui les animent. Construite au fil du temps, la relation qui les unit aujourd’hui les entraîne vers ce dialogue unique, esquissé avec les Chansons d’amour, et qui trouve ici un heureux prolongement dans une forme de dépouillement qui frise le minimalisme.

Une musique comme en apesanteur et en quête permanente de la note juste, la seule indispensable. Celle qui suscite l’émotion la plus vive, le frisson parfois et inscrit leur musique dans une sorte d’intemporalité dont on a le sentiment qu’elle est une poétique défense face à l’air, bien malade, du temps présent.

Il y a dans cette démarche qui affiche la volupté de prendre le temps, comme un choix de résistance à un emballement sociétal devenu insupportable et dont témoignent les successives versions de « Outré ».

Le plus souvent se déploie la volonté assumée de conduire la large part improvisée de leur dialogue dans le sens de l’épure la plus fine, au travers d’un jeu subtil de voluptueuses nuances bien à même de nous toucher au cœur.
Des explorations de ce duo sensible et captivant, en constante communion quasi télépathique, on ne peut que s’émerveiller et goûter la délicatesse pudique avec laquelle il installe patiemment un climat d’une grande douceur, fragile et non dépourvu de sa part
de mystère.
L’œuvre dévoile de fascinantes et irrésistibles facettes. Et, surtout, un univers très personnel qui s’impose comme une réussite majeure à ranger, et c’est un très sincère compliment, aux côtés de celle immortelle, de Paul Bley et de Jimmy Giuffre.

Jean-Paul Ricard